L’âne de rando, le corps et la tête
Les Cahiers de l'Âne • 01/03/2011

En principe, n'importe quel âne peut porter et randonner. Mais dans la réalité, c'est toujours un peu différent… La première des qualités que doit donc avoir un âne randonneur est une bonne allure, c'est à dire régulière et pas trop lente.
TEXTE : MARTINE JOUCLAS - DESSINS : BRUNO DELAS
En effet, rien n'est plus désagréable et pénible en effet que de tracter un âne, surtout si ça dure des kilomètres ! Trotter derrière, pendu à la longe n'est pas plus drôle, mais beaucoup plus rare. Et avoir un âne qui s’arrête pour grignoter ou regarder quelque chose, puis rattrape le timing au trot est généralement assez risqué pour le paquetage.
Une bonne allure
La régularité de l'allure est liée aux bonnes habitudes. Il faut surtout empêcher Cadichon de s'arrêter à chaque touffe d'herbe et en échange lui proposer un « self » bien fourni - et ombragé - aux arrêts. Il apprend très vite la signification de « non » et de « mange ». Mais il appréciera toujours une gourmandise volée occasionnellement sur son parcours. Pour lui elle fera partie des petits plaisirs des balades, et pour nous du respect de son fonctionnement d’herbivore.
En pratique, il nous faut d’abord marcher régulièrement nous-même. Qui plus est, la régularité de l’allure de notre compagnon n’est vraiment importante que lorsque l’on tient Cadichon en longe, ce qui n’est ni indispensable, donc ni permanent lors d’une randonnée.
Un âne s’entraîne à marcher régulièrement d’autant mieux qu’il n’est pas seul. Pour habituer un jeune à la balade, il suffit de l’emmener avec des ânes plus aguerris lors de ses premières vraies sorties. À défaut d'avoir à disposition d’autres ânes, un petit groupe de personnes peut faire office de troupeau. Dans ce cas, on essaye de marcher un devant pour lui montrer le chemin et les autres derrière pour le pousser.
Pour la vitesse, il vaut mieux se fier aux aptitudes naturelles de l'animal que d'espérer une amélioration par le travail. On retrouve là une fois de plus une justification au fameux « un âne ne se dresse pas ». Il n'existe pas de race d'âne vraiment spécialisée, mais beaucoup d'ânes communs ou de race ont les aptitudes nécessaires. Cette allure naturellement ample est souvent doublée d'un caractère allant, curieux, responsable. Il est logique que les ânes timides et inquiets avancent précautionneusement tout en ayant des sursauts de frayeur. Ceux-là nécessiteront un apprentissage plus long dont la réussite sera aléatoire.
La taille, le dos et les pieds
Le physique de l’âne suppose des aptitudes, des avantages et des inconvénients.
En ce qui concerne la taille, il est plus confortable d'avoir un âne de taille moyenne, autour de 1,15 m / 1,20 m. A moins de 1,05 m, l'âne porte forcément moins lourd et son allure a toutes les chances d’être plus courte. Cependant, les petits ânes sont souvent très volontaires, actifs, dynamiques et travaillent bien. Dans ce cas, leur compagnie est agréable, joyeuse, vivante. Il y a bien sûr moins de place sur leur bât mais ils portent bien leur charge.
Au-delà de 1,25 m, les bâtages et débâtages sont pénibles car il faut hisser les bagages un peu plus haut. De plus, ce n’est pas parce que votre âne a de plus grandes jambes qu’il marchera plus vite. Qui plus est, les grands ânes ont tendance à être maladroits en terrain varié, surtout s’ils ont grandi en plaine. L’allure naturelle reste un atout majeur.
Un élément déterminant pour un âne porteur est qu’il ait un bon dos. L’âne a une vertèbre lombaire de moins que le cheval, ce qui lui confère une solidité très appréciée : c’est pour ce dos-là que l’on fait des mulets plutôt que des bardots. Pourtant, les grands ânes ont parfois le dos fragilisé par un accident ou des portages trop précoces. On croit toujours que parce qu’ils sont grands, ils sont costauds. C’est une grave erreur. Par exemple, un ânon qui a porté juste un peu et à cru, un enfant dont le poids porte sur deux-trois vertèbres ou une ânesse saillie trop jeune et qui s’est un peu débattue, risquent d’avoir subi un léger déplacement de vertèbres, difficile à détecter donc non soigné.
Ces problèmes de dos peuvent être plus ou moins douloureux, ponctuels ou permanents, provoquant des réactions de défense ou de protection, telles des petits pas, ou autres attitudes assez incompréhensibles mais capables de perturber le comportement d’un âne quand il est bâté.
Enfin, il va de soi qu'un âne ne peut bien marcher que s'il a de bons pieds (!) donc entretenus attentivement tout au long de l’année et entraînés aux terrains variés. Il est indispensable que ce soit le même maréchal-ferrant qui suive le même âne toute l’année car il sait comment évoluent les pieds, les aplombs et la colonne articulaire supérieure. Ces trois éléments sont complètement reliés et il suffit d’un qui soit fragilisé sur un seul pied pour que l’âne reste vissé à l’écurie.
De même, un âne dont les pieds ont été très raccourcis ne peut pas partir en rando sans risquer des ennuis pouvant être durables, comme une tendinite par exemple. Celui qui vit dans un pré à l’herbe tendre va souffrir rapidement en marchant sur un sol dur, tout comme nous qui abandonnons les chaussures aux premiers jours des vacances estivales. Qui plus est, la majorité des ânes mangeant trop riche et vivant sur un sol trop humide ont la corne et l’intérieur du pied très fragilisés voire complètement malades. On comprend bien qu’un âne qui a eu des abcès, des fourmilières voire quelques pointes de fourbure au printemps ne pourra pas randonner confortablement pendant l’été. De même, celui qui aura souffert lors des sorties précédentes vous signalera son manque d’enthousiasme à marcher sur des aiguilles.
L’expérience, la confiance

Par ailleurs, même s’il est super gentil à la maison, l'âne doit être habitué au monde extérieur pour ne pas avoir une frayeur à la moindre occasion. S'il faut discuter un quart d'heure avec son âne à chaque pont, pour dépasser une plaque d’égout ou franchir la moindre flaque, on n'est pas certain d'arriver le soir à bon port. Un bon âne de randonnée connaît la vie, supporte les coups de klaxon ou l’approche d’un chien inconnu sans broncher, ose se mouiller le bout du sabot s’il ne peut faire autrement, ignore le linge froufroutant sur la corde et fait à peine un sursaut quand un vélo arrive en trombe derrière lui.
Pour arriver à cette confiance en lui – et en nous ! - et dans le monde qui l'entoure, il lui faut l'expérience de petites balades fréquentes dans des endroits variés. Ces petites balades gagnent à être faites en groupe afin que l’âne (jeune) se sente protégé par l’entourage de son troupeau, qu’il soit asin ou humain. Ne se sentant pas seul et unique à porter la responsabilité de votre sécurité et de la sienne (car un âne tend toujours à nous protéger), il sera plus disponible à découvrir, analyser et intégrer les éléments nouveaux du paysage. Quoi qu’il se passe, votre propre réaction calme, voire sereine et souriante, participera efficacement à sa propre sérénité et donc au développement de sa confiance en vous et en lui.
... et l’empathie
Car il faut bien comprendre l’importance de notre attitude vis-à-vis de la sienne. L’âne a, comme tous les animaux – dont nous faisons partie - beaucoup d’empathie. Cette faculté de capter nos émotions peut empoisonner les relations réciproques.
Par exemple, si vous savez qu’au détour du chemin, il y a une grosse flaque d’eau devant laquelle votre Cadichon risque de bloquer (puisque vous avez lu et entendu tellement d’histoires !), vous allez émettre une légère appréhension qui ne va qu’à peine l’intriguer (nous sommes si bizarres !). Mais lorsque vous vous trouverez tous les deux face à l’obstacle, il aura peur de la flaque et votre propre appréhension justifiera la sienne.
Pour éviter l’effet boule de neige qui amène à des affrontements aussi pénibles que vains, il suffit souvent de pas grand chose, simplement de se décontracter, de bailler ou respirer profondément, de faire semblant d’autre chose en attendant, avec le sourire (très important !) et en le câlinant, que la tension baisse. Plutôt qu’essayer de le persuader que la flaque ne va pas l’engloutir, il est plus simple, rapide et efficace de lui enlever la longe (il ne faudrait pas qu’en plus, il se freine en marchant dessus !) et de le précéder dans le franchissement de l’obstacle.
Lorsque vous serez éloigné de quelques mètres, ou pire si vous disparaissez derrière le virage, il sautera au-dessus de la flaque, ou fera des pointes autour, ou trouvera une autre solution pour vous retrouver au plus vite. Vous le féliciterez alors amplement de son courage et de sa fidélité (!). L’obstacle sera franchi et il gardera plutôt le souvenir de votre satisfaction que celui de sa peur et la vôtre réunies.
L’âne de randonnée doit donc être avant tout sain de corps et d’esprit, ce qui est très lié à notre propre attitude. Lorsque l’on fréquente son âne quotidiennement, on apprend vite à le connaître et à traduire ce qu’il nous dit et réciproquement. Si nous prenons le temps d’affûter notre « langage-âne », de développer notre disponibilité à ce qu’il pense plutôt qu’à ce que nous voulons, si nous demandons plutôt que nous exigeons, les relations avec Cadichon ne poseront aucun problème et les randonnées seront de vrais plaisirs partagés entre bipèdes et Longues oreilles.■

LE TRUC DES CAHIERS
L'attache longue
Lors d’une randonnée, on doit toujours attacher son âne à un moment ou à un autre. Et pour cet acte fréquent, les bonnes idées et les bons conseils ne manquent pas... mais sont-ils toujours bien adaptés ? En effet, beaucoup viennent du monde du cheval alors que l’âne n’a pas le réflexe de fuite comme son cousin, au contraire il bloque et réfléchit. Il a horreur de se faire mal - ce qui tombe bien car il est assez hémophile - et sait qu’il n’a aucun intérêt à fuir puisqu’il n’est pas un champion de course. Donc, même stressé, il ne va pas tirer et encore moins se débattre dans tous les sens si quelque chose résiste.
Conséquence pratique
Il est tout à fait possible et même conseillé d’attacher un âne long. Il est encore mieux de l’attacher très long si l’endroit le permet. Pour l’habituer, il suffit de l’installer dans un endroit où on peut le surveiller mine de rien.
Quand il se prendra un pied dans la longe, ce qui est fatal, il suffira de lui parler et surtout d’attendre avant d’intervenir afin de lui laisser le temps de comprendre ce qui se passe et d’imaginer comment se sortir de ce mauvais pas. Votre calme à proximité l’aidera à réfléchir. Un âne peut très bien rester « papatte en l’air » plusieurs minutes, il est encore bien stable sur les trois autres et son effort musculaire est dérisoire. En deux-trois séances, il aura repéré la longe et ses actions et sera prêt à passer une nuit complète sans encombre avec la possibilité de brouter à satiété, de se rouler amplement et donc de se reposer vraiment.
Il est cependant utile de repérer en l’attachant quels sont les obstacles autour desquels la longe pourrait s’enrouler car, même s’il y est arrivé plusieurs fois, un âne a quand même du mal à tourner intentionnellement autour d’un arbre pour libérer des longueurs de longe.